Depuis ce mercredi 14 octobre à 23h59, le service Uber Pop a donc cessé ses activités à Bruxelles, énième étape d’une dispute juridique avec les autorités publiques qui est loin de toucher à sa fin. Cette application était la plus populaire de l’entreprise californienne et avait réussi à toucher 12 % des Belges et 20 % des Bruxellois. L’hystérie ayant entouré les discussions autour d’Uber a atteint des sommets émotionnels rarement égalés et a surtout, malheureusement, jeté le discrédit sur un nouveau modèle économique tout à fait innovant : l’économie collaborative, également connue comme économie du partage (« sharing economy » en anglais). Cette dernière n’en est qu’à ses balbutiement mais détient le potentiel de révolutionner nos modes de vie et de consommation. Comme nous le verrons par la suite, Uber n’est qu’un de ses premiers enfants, le plus visible, mais très immature et truffé de maladies de jeunesse.

Définir précisément l’économie collaborative est un défi en soi mais, pour schématiser, on peut considérer que c’est la mise en relation de trois éléments clés : une plateforme numérique accessible via une simple connexion internet, une mutualisation de biens ou de services, et une communauté d’utilisateurs. Au-delà du transport de personnes, de nombreux exemples ont fleuri ces derniers temps et touchent toujours plus de secteurs : le logement touristique (Airbnb), le co-voiturage (BlablaCar), le financement de projets (Kiss Kiss Bank bank), l’approvisionnement alimentaire (La ruche qui dit oui) ou la préparation de plats à emporter (Menu next door). La capacité révolutionnaire de ce nouveau phénomène peut se traduire selon les trois axes suivants :

  • L’utilisation des biens sera privilégiée par rapport à sa propriété. Nos petits-enfants ne seront probablement plus propriétaires de leur voiture, de leur tondeuse, de leur vélo, ou de leurs meubles.
  • La production de biens et de services aura un coût marginal très faible, voire quasi nul[1]. Produire et distribuer une chanson sur YouTube, ou fabriquer un objet via une imprimante 3D représente en effet une dépense très limitée.
  • L’emploi salarié tel que nous le connaissons aujourd’hui. Les emplois créés le seront essentiellement sous statut d’indépendant, à horaire et salaire flexibles en fonction de la demande. La question du financement de notre sécurité sociale sera dès lors aussi posée.

Par ailleurs, les systèmes d’économie partagée redistribuent théoriquement les profits au sein de la communauté d’utilisateurs – consommateurs.

Cette évolution inéluctable de notre économie, pour peu qu’elle soit intelligemment accompagnée par les pouvoirs publics, devrait donc nous mener vers une consommation plus raisonnée, vers une utilisation plus durable de nos ressources et vers une gestion plus collective d’un ensemble de biens et services…bref, vers une augmentation de la qualité de notre vie et de notre environnement.

Pour ce faire, à court terme, le monde politique se doit d’avancer sans délais sur deux chantiers urgents. Tout d’abord, mettre en place des régulations répondant aux problèmes posés par les premières formes très imparfaites d’économie collaborative, tel Uber qui concentre tous les profits dans les mains d’un actionnariat centralisé et ne joue pas le jeu aux niveaux fiscal et social. Concrètement, interdire est inefficace et témoigne d’une grave myopie par rapport aux enjeux en présence. La Région bruxelloise ferait mieux de se rasseoir avec les dirigeants d’Uber afin de trouver des solutions réalistes et praticables par l’ensemble des acteurs concernés, utilisateurs compris. On pourrait imaginer une taxe spécifique par course, une reconnaissance d’une partie des chauffeurs comme salariés (ceux prestant plus de x heures par jour) ou toute autre mesure inspirée des nombreux exemples nous venant de l’étranger.

Dans un deuxième temps, les institutions publiques seraient bien inspirées de montrer l’exemple en emboîtant le pas de ces initiatives et en créant des partenariats avec des plateformes collaboratives. Que ce soit pour des voitures partagées, pour la gestion commune de sources d’énergie renouvelable, pour l’approvisionnement en produits alimentaires ou pour toute autre forme de gestion participative couplée à de l’investissement public.

Les prochaines années seront cruciales dans notre faculté à appréhender ces outils économiques novateurs, qui n’attendront pas le monde politique pour se développer. Notre devoir est de nous les approprier, avec enthousiasme et sans naïveté, en vue de promouvoir des habitudes de consommation plus réfléchies, des créations d’emplois locaux de qualité et une intervention de l’État digne du 21e siècle.

Publié sur RTBF info (voir la version en ligne)

[1] Thèse développée en détails dans le dernier ouvrage de l’économiste américain Jeremy Rifkin : « La nouvelle société du coût marginal zéro » – Editions LLL 2014