C’était trop beau, on avait vécu une année et demie de politique belge sans que nos querelles institutionnelles n’empoissonnent tous les débats ou fassent la Une de l’actualité.

Même si l’agenda communautaire se retrouve en filigrane de nombreux dossiers, il ne s’était plus retrouvé à ce point en haut de l’affiche depuis un certain temps. Merci donc à Bart De Wever qui, grâce à ses récentes annonces sur la relance du confédéralisme, risque à nouveau de monopoliser les discussions politiques pour les semaines, voire les mois à venir alors que les défis sociaux, économiques et environnementaux ont rarement été aussi importants. En même temps, peut-on vraiment en vouloir à la N-VA de pousser son objectif prioritaire et sa raison d’être politique, l’indépendance de la Flandre ? Sans doute que non, mais il est par contre légitime de leur reprocher un double enfumage : par rapport aux mesures socio-économiques du gouvernement fédéral et à la notion vide de confédéralisme.

Au niveau socio-économique tout d’abord, les décisions prises par le gouvernement Michel Ier vont systématiquement dans le même sens, celui de détricotage des missions régaliennes de l’État fédéral et du désinvestissement massif dans les services publics : SNCB, justice, police, entreprises publiques, etc. Aucune entité n’échappe à cette vision très conservatrice de la société, certains diront thatchérienne, essentiellement insufflée par la N-VA, et suivie par les autres partis de la majorité. Remettre le communautaire à l’avant-plan permet de masquer cette réalité et toutes ces conséquences néfastes pour nos concitoyens. C’est le premier enfumage.

Le peu d’enthousiasme que suscite le projet séparatiste au sein de la population flamande est clairement le talon d’achille de la N-VA

Le deuxième enfumage consiste à systématiquement parler de confédéralisme alors que l’article premier des statuts de la N-VA appelle au séparatisme, à la fin du pays. Le parti nationaliste entretient exprès cette confusion de vocabulaire, car elle est parfaitement consciente qu’il n’y a pas de volonté citoyenne flamande pour aller vers l’indépendance. Il vaut donc mieux parler d’un concept flou et impraticable pour noyer le poisson dans les médias. Ce manque d’assise populaire, surtout chez les jeunes flamands, représente par ailleurs une différence notable avec la situation en Catalogne, qui plaît tant à la N-VA. En effet, des manifestations dépassant le million de personnes ont fréquemment eu lieu à Barcelone alors que l’on a jamais vu plus de 2.000 personnes sortir dans les rues d’Anvers pour réclamer l’indépendance de la Flandre.

Le peu d’enthousiasme que suscite le projet séparatiste au sein de la population flamande est clairement le talon d’achille de la N-VA et il est temps d’en profiter. Au lieu de se plaindre ou de s’étonner dès que la N-VA sort ses griffes nationalistes, il est temps de l’affronter d’égal à égal, projet contre projet et de la défier face à l’opinion publique flamande. Pour ce faire, le meilleur outil est la consultation directe de la population via un référendum, ou plutôt une consultation populaire afin de respecter notre constitution. Une telle démarche obligerait tous les partis politiques du Nord du pays à jouer cartes sur table et à se prononcer clairement sur la question de l’existence même de la Belgique. Si l’indépendance de la Flandre est rejetée, ce dont je ne doute pas une seule seconde, la légitimité du projet séparatiste s’effondrera et nous sortirons enfin par le haut du chantage communautaire constant que nous imposent les nationalistes. Pourquoi venir aujourd’hui avec un tel projet référendaire ? Parce que la stratégie même de la N-VA est le pourrissement : parler de confédéralisme, saper les compétences fédérales de l’intérieur, conclure qu’aucune embellie économique n’est possible avec les Francophones pour dans 10, 15 ou 20 ans, proposer que la Belgique s’évapore tout naturellement, pour reprendre leur vocabulaire.

Le temps de la passivité est révolu et le discours politique face à la N-VA se doit d’évoluer en vue de les pousser dans leurs contradictions et d’exploiter les faiblesses de leur projet séparatiste indigne du 21e siècle. Coinçons-les dans leurs retranchements idéologiques et forçons-les, à leur tour, de prendre 5 minutes de courage politique pour convoquer un référendum en Flandre sur l’avenir du pays. Au sortir de ce moment de démocratie directe, nous pourrons enfin laisser derrière nous la spirale infernale des réformes de l’État, n’apportant aucune réponse concrète aux défis majeurs de notre temps et bloquant inutilement les institutions de notre pays. C’est la seule stratégie ambitieuse si l’on veut éviter que l’Histoire nous repasse en 2019 les plats de 2010 et de 2014.

 

Carte blanche publiée sur le Vif en ligne (voir la version en ligne)