Madame la présidente, monsieur le ministre, d’après une étude récente réalisée par ING, un scénario de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne se traduirait par une perte de croissance cumulée de 0,3 à 0,7 % sur la période 2016-2017 pour l’économie belge, soit le temps qu’il faudrait pour négocier une sortie à l’amiable du Royaume-Uni de l’Union européenne. Cela équivaut à une perte potentielle d’activité de 1 à 3 milliards d’euros.

Si la Belgique apparaît comme une des économies les plus exposées, c’est parce que les Britanniques sont notre quatrième partenaire commercial après l’Allemagne, la France et les Pays-Bas.

À lui seul, le Royaume-Uni représente en effet 5,5 % du total des importations belges et 7,7 % de nos exportations. Les secteurs les plus concernés par une chute des activités commerciales avec le Royaume-Uni sont les véhicules, les produits chimiques, la fabrication de machines, les plastiques et les produits alimentaires. Ces secteurs pèsent 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires et environ 60 000 emplois. « Ces emplois seraient en outre directement menacés car ils dépendent de la demande britannique », conclut l’étude.

On peut redouter un autre effet collatéral désagréable, à part les effets sur le commerce: d’autres canaux impliqueraient des pertes financières, notamment au niveau des investissements directs étrangers. Ainsi, le stock d’investissements directs étrangers de la Belgique au Royaume-Uni représente environ 7 % du PIB belge, alors que les revenus de ces mêmes investissements représentent 0,5 % du PIB.

Évidemment, toutes ces hypothèses se situent dans un scénario de séparation à l’amiable entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Si, par contre, les choses ne se passent pas bien politiquement ou si les négociations s’éternisent, on pourrait imaginer des chiffres encore plus déprimants pour l’économie belge.

Dans ce contexte, je souhaite vous poser les questions suivantes, à quelques semaines du référendum au Royaume-Uni. Votre cabinet (ou le SPF Économie) a-t-il étudié les répercussions potentielles d’un scénario de Brexit sur l’économie belge et son impact sur l’emploi? Si non, comptez-vous le faire et dans quel délai? Si oui, quels sont les résultats de cette étude et pourrions-nous en disposer? J’entends d’ailleurs, par rapport à ce que vous avez dit ce midi à la Confédération nationale de la Construction, que vous étiez hier à Londres pour discuter du Brexit. C’est ce que vous avez dit tout à l’heure, donc j’imagine que vous avez des choses à nous raconter sur le sujet.

Voici ma deuxième question. En cas de sortie du Royaume-Uni, quelles sont les mesures envisagées par le gouvernement belge afin de limiter au maximum les conséquences négatives d’un tel scénario pour notre pays? Je vous remercie d’avance pour vos réponses.

Kris Peeters, ministre: Monsieur Vanden Burre, vous êtes bien informé parce que vous étiez ce midi à la Confédération nationale de la Construction. Tout d’abord, je peux vous confirmer que je suis aussi inquiet que vous en ce qui concerne l’impact qu’un possible Brexit aura pour notre économie. Diverses études publiques montrent que notre pays, partenaire commercial important du Royaume-Uni, avec un important excédent commercial, devrait sans doute faire face à un impact économique négatif. Il y a quelques mois, l’étude d’ING à laquelle vous avez fait référence a conclu que d’ici à la fin 2017, le Brexit coûterait à l’économie belge un demi pour-cent du PIB, soit environ 2,1 milliards d’euros de plus que le coût moyen d’un Brexit pour les pays de l’Union, estimé par ING à 0,3 % du PIB. Cela est dû aux liens économiques particulièrement étroits que notre pays entretient avec le Royaume-Uni.

Ce pays était notre quatrième client en 2015, nos exportations s’y élevaient à 31,4 milliards d’euros. Avec 10,7 milliards d’euros en 2014, la Belgique enregistrait un des plus importants excédents commerciaux avec le Royaume-Uni, de toute l’Union européenne.

Nos flux d’investissements sont eux aussi considérables. Entre 2003 et 2013, il s’agit de 3,9 milliards d’euros d’investissements réciproques ayant engendré près de 8 000 emplois, dont 4 800 par les entreprises belges au Royaume-Uni.

Aujourd’hui déjà, l’incertitude influence les cours de la Bourse et nos échanges commerciaux. Nous ne parlons même pas des années d’incertitude sur les relations entre le Royaume-Uni et le reste de l’Union européenne qu’engendrerait un Brexit. Des contacts que j’ai eus hier avec des chefs d’entreprise et des banquiers actifs à Londres, j’ai clairement pu constater l’inquiétude créée à la suite de l’incertitude et l’instabilité que causera le référendum du 23 juin et son résultat, non seulement pour le Royaume-Uni mais aussi pour l’ensemble de l’Union européenne et de manière significative pour notre pays. Il est difficile d’estimer l’impact économique du référendum lui-même et de l’éventuel Brexit, car cela dépend des points de référence utilisés.

Une autre étude d’Euler Hermes-Economic Research du 18 mai 2016 indique que l’impact sera modéré pour la zone euro, mais que certains pays, dont la Belgique, les Pays-Bas et l’Irlande, pourraient davantage être affectés. Nos quatre secteurs les plus vulnérables sont l’automobile, la chimie, les machines et équipements ainsi que l’industrie alimentaire.

À ce stade, je n’ai pas donné instruction à mes services de réaliser une telle étude, vu les nombreuses incertitudes. Il est toutefois évident que mon administration et les divers services d’études dont nous disposons suivent cette évolution et se préparent à toutes les éventualités. Une fois qu’une décision démocratique de quitter l’Union européenne sera prise au Royaume-Uni, mon département procédera à une estimation des conséquences économiques des divers scénarios de négociation, suivra de près les négociations et soutiendra sur le fond des objectifs de négociation du gouvernement.

Un résultat négatif lors du référendum britannique ne signifierait pas un retrait immédiat du Royaume-Uni de l’Union européenne. Au terme de l’article 50 du Traité de l’Union européenne, l’Union devra, en effet, en pareille hypothèse, négocier et conclure avec le Royaume-Uni un accord sur les modalités de son retrait, en tenant compte de ses relations futures avec l’Union européenne.

Le cas échéant, c’est dans le cadre des négociations de cet accord qu’il conviendra de définir les mesures qui seront nécessaires pour limiter les conséquences négatives pour notre pays d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. À cet égard, différentes options sont ouvertes comme une addition du Royaume-Uni à l’Espace économique européen (EEE), la conclusion d’un accord commercial bilatéral ou d’un accord sui generis. La question devra toutefois être examinée de manière globale. En négociant les modalités du retrait, il faudra tenir compte des relations économiques entre notre pays et le Royaume-Uni mais aussi, plus globalement, des effets que pourrait avoir cet accord sur le processus d’intégration européenne en général.

L’impact final pour le Royaume-Uni et pour la Belgique dépendra donc en très grande partie de l’accord commercial définitif qui sera établi. Cela devrait prendre quelques années. Le paradoxe du Brexit est que l’accord le plus avantageux du point de vue politique est, en même temps, le plus néfaste au plan économique pour le Royaume-Uni.

Étant donné les liens étroits de notre pays avec l’économie britannique, il me semble logique que la Belgique cherchera à atteindre la plus grande stabilité possible pour nos relations économiques. Malheureusement, on peut s’attendre à des conséquences économiques négatives pour notre pays et, suite à une relation commerciale intense, celles-ci seront plus lourdes que dans la plupart des pays de l’Union européenne.

Gilles Vanden Burre (Ecolo-Groen): Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse longue et détaillée, à la hauteur de l’importance de l’enjeu lié au référendum britannique. Les sondages sont ce qu’ils sont, mais on voit que le Brexit est plutôt devant. Si jamais les Britanniques décident de quitter l’Union européenne, il sera important qu’on puisse se réunir avec la commission de l’Économie et d’autres commissions du Parlement pour définir la stratégie du gouvernement par rapport à la réaction belge dans le cas d’un Brexit, que nous n’appelons pas de nos voeux, mais qui paraît malheureusement de plus en plus réaliste.

 

Question orale posée en commission de l’Economie le 15 juin 2016.