Le cumul des mandats n’est-il quasiment possible que dans la fonction publique. Un mandataire soulève la question de la disponibilité du « cumulard » et du conflit d’intérêts que ses multiples casquettes génèrent.

 

Le débat sur le cumul des mandats refait rage depuis la diffusion de l’émission « Questions à la Une » de mercredi dernier et du décret en préparation sur le sujet du côté wallon.

Trop souvent, cette polémique est noyée dans des considérations techniques ou des interprétations juridiques de textes existant qui ne font qu’enfumer l’opinion publique. Alors que la question qui se pose est en fait assez simple : est-il normal que des mandataires publics puissent exercer plusieurs fonctions « plein-temps » lorsque l’immense majorité des travailleurs belges n’en exerce qu’une seule, que ce soit pour des questions de temps ou d’obligations contractuelles ? En effet, il est extrêmement rare qu’un employeur, public ou privé, permette à un membre de son personnel d’avoir un autre métier à côté de son contrat de travail plein-temps. De même, les indépendants ou gérants d’entreprise qui ont le temps d’exercer une activité professionnelle complémentaire à côté de leur boulot principal se comptent sur les doigts d’une main.

« Occupé à 100 % »

Pourquoi ce qui est valable pour la quasi-totalité de la population active belge ne le serait-il pas pour la classe politique ? En tout cas, pour ceux et celles qui exercent un mandat considéré comme un temps plein, et rémunéré comme tel : bourgmestre ou échevin d’une ville moyenne, député ou, bien entendu, ministre. En ce qui me concerne, député fédéral depuis un peu plus de deux mois, j’ai franchement l’impression d’être occupé à 100 %. J’en conclus donc que soit mes collègues qui cumulent sont des « surhommes » ou des « surfemmes », soit ils ne remplissent pas leur job de député à fond…

A côté de la question de la disponibilité, il y a aussi celle du conflit d’intérêts. Venant du monde de l’entreprise, j’ai du mal à imaginer qu’on puisse être à la fois directeur financier et directeur marketing ou, en d’autres termes, décider soi-même des budgets que l’on va recevoir afin de mener un projet à bien. Transposé au monde politique, le même problème se pose pour celui qui cumule ministre et bourgmestre. A nouveau, pourquoi cette règle élémentaire de bonne gestion ne s’appliquerait-elle pas aux décideurs publics ? Enfin, le cumul accentue la concentration de pouvoir entre les mêmes mains et empêche le renouvellement ainsi que l’émergence de nouvelles personnalités.

Tromperie à plusieurs étages

Cumuler, c’est donc bien tromper : tromper les électeurs à qui on avait promis de se consacrer entièrement à sa tâche d’élu, tromper ses collègues à qui on empêche d’accéder à de nouvelles fonctions et, probablement, se tromper soi-même en pensant pouvoir gérer de manière optimale plusieurs mandats importants de front.

Au-delà de ces constats, il est important de proposer des pistes de solution autour desquelles une grande partie de la classe politique pourrait se retrouver. Tâche compliquée s’il en est…

Tout d’abord, il y a une mesure directe et très claire, portée par les écologistes depuis toujours : l’interdiction totale du cumul député/ministre avec bourgmestre ou échevin. Ceci a été partiellement mis en place en Wallonie sous la précédente législature où seuls 25 % des députés wallons peuvent désormais cumuler, suivant des règles précises. L’objectif prioritaire reste dès lors une évolution vers une interdiction totale, à tous les niveaux de pouvoir, pour laquelle l’appui d’autres formations politiques est indispensable. Ce dernier élément semblant faire défaut actuellement, il est important d’envisager des alternatives ayant un impact plus indirect sur la problématique traitée : la stimulation de la démocratie participative et le renforcement du renouvellement.

Pour un monde politique plus « poreux »

Des processus de démocratie participative de plus en plus poussés se développent aux quatre coins du globe et permettent aux citoyens d’influencer, voire de co-décider, des mesures ayant un impact immédiat sur leur quotidien. On peut, par exemple, mentionner la consultation populaire, réalisée sur des sujets locaux très concrets (destruction d’un parc, transformation d’une gare, réaménagement d’une place, etc.) ou la mise en place de budgets participatifs communaux donnant la possibilité à des assemblées citoyennes de voter l’utilisation d’un pourcentage du budget total. De telles innovations diluent de facto la concentration de pouvoir et créent une pression citoyenne accrue par rapport à des pratiques de cumul incompatibles avec la dimension participative. Il en va de même pour le renouvellement, consistant à voir de nouvelles têtes et de nouveaux profils débarquer en politique. En effet, l’arrivée d’ouvriers, de profs, de médecins, d’entrepreneurs… dans les parlements contribuerait à un changement de culture menant à une répartition plus équilibrée des responsabilités et, idéalement, à une érosion naturelle des cumuls. C’est évidemment un raisonnement intuitif mais j’ai la conviction qu’une plus grande porosité entre le monde politique et la société civile donnerait un souffle nouveau à la sphère publique et redorerait son image par rapport au reste de la population. Pour ce faire, les partis devraient réserver des places éligibles sur leurs listes à de tels candidats, ce qui requiert une bonne dose de volonté, voire de courage, politique.

On le voit bien, le cumul est un véritable fléau de notre système politique, qui le décrédibilise chaque jour un peu plus aux yeux de l’opinion publique. Afin d’y remédier définitivement, de nouvelles règles claires et transparentes seront nécessaires, ainsi qu’une nouvelle culture politique, plus participative et ouverte sur la société civile. Néanmoins, rien de ce qui précède ne sera possible sans de fortes pressions citoyennes et médiatiques, au risque de retomber dans les petits arrangements habituels et les décrets compréhensibles uniquement par ceux qui les ont rédigés.

 

Publié sur Le Soir en ligne (voir la version en ligne)