Monsieur le ministre, récemment, une enquête de Beci et Look & Fin, publiée dans la presse le 27 avril dernier, redit la difficulté des PME d’accéder au crédit bancaire. Un quart des petites et moyennes entreprises estiment que le manque de financement bancaire est un frein à leur développement. Dans les détails, l’enquête a interrogé 183 PME de tous secteurs, sauf l’horeca. Pour six PME sur dix, il est devenu plus difficile d’obtenir un prêt depuis la crise financière de 2008. En cause – toujours les causes classiques -, les garanties demandées par les banques, surtout pour les jeunes entreprises. Un tiers, soit 35 % des refus sont motivés par une insuffisance de garanties. En conséquence, de plus en plus d’entreprises, comme 48 % des sondés, se tournent vers d’autres formes de financement, comme les fonds d’investissement pnvés (23 % des entreprises interrogées), l’autofinancement (20 %) ou encore le crowdfunding et le crowdlending qui représenteraient aujourd’hui 8 % des sources de financement des PME.

Le financement participatif (crowdfunding) gagne donc du terrain, mais la Belgique accuse un retard par rapport à la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la France, comme l’indique Look & Fin, dont le crowdfunding est la spécialité. En effet, la majorité des entreprises interrogées (55 %) ne connaît pas les termes crowdlending ou prêt participatif et seules 8 % d’entre elles ont déjà eu recours au crowdlending ou crowdfunding. Enfin, les commanditaires de l’enquête soulignent que de nombreuses PME ne peuvent pas bénéficier des incitants fiscaux prévus dans le tax shelter pour startups entré en vigueur l’an dernier car il s’adresse uniquement aux entreprises existant depuis 4 ans maximum.
Après ce constat que je qualifierais de décevant sur le crowdfunding en Belgique, j’aimerais vous poser les questions suivantes, monsieur le ministre.

Que comptez-vous faire pour remédier à cette méconnaissance des systèmes de financements participatifs au sein de nos PME? Je sais que vous revoyez actuellement votre projet de tax shelter pour PME. Comptez-vous élargir les conditions d’utilisation du tax shelter pour entreprises afin d’y inclure les entreprises dépassant les quatre ans d’existence? Par ailleurs, le groupe Ecolo-Groen avait déposé, l’année dernière, une proposition de loi qui élargissait le tax shelter PME aux plates-formes decrowdfunding qu’on appelle des « rewards », c’est-à-dire celles qui font en sorte qu’on ne devient pas directement actionnaire, par une prise de participation, mais d’investir dans une entreprise et avoir des retours non financiers. On peut penser à des bacs de bière, à l’instar d’une micro-brasserie qui a connu un certain succès à Bruxelles et qui s’est financée par ce biais. Ce pourrait être aussi une partie de production de champignons, que l’on cultive sur du marc de café, en guise de retour sur investissements. Cette catégorie d’entrepreneurs n’est pas concernée par le tax shelter et nous aimerions qu’elle le soit.

Enfin, de manière plus générale, quelles mesures envisagez-vous pour soutenir les PME dans leur recherche de financements auprès des banques et auprès des banques publiques en particulier. Je pense évidemment à Belfius. Qu’est-ce qui est mis en place pour que l’attention de ces banques publiques soit tout à fait ciblée vers les PME?

Willy Borsus, ministre: Monsieur le président, monsieur Vanden Burre, j’attire votre attention sur certains des éléments de la réponse suivante à la question de M. Friart, qui nuance certains éléments concernant le constat de financement. Mais vous avez raison: l’article 145/26 du Code des impôts sur les revenus, tel qu’instauré par la loi-programme d’août 2015 instaure une réduction d’impôts concernant les investissements réalisés auprès des PME débutantes, c’est-à-dire de moins de 48 mois.
En fait, dès le départ, la réduction d’impôts trouve à s’appliquer à travers quatre canaux. Elle s’applique dans le cadre d’une prise de participation directe dans le capital des sociétés éligibles, d’un investissement en actions ou en prêts réalisés via une plate-forme de crowdfunding ainsi que d’un investissement dans un fonds starter qui investit à son tour dans des sociétés éligibles.

Actuellement, seul l’investissement réalisé directement dans le capital des sociétés éligibles donne lieu à la réduction d’impôt mais l’ensemble du mécanisme était prévu originellement, dès l’été 2015.

Les statuts de plates-formes de crowdfunding et de fonds starter nécessitaient toute une série de concertations avec la FSMA, des études techniques, etc. Le texte est en voie de finalisation. Sur l’initiative de mon collègue Van Overtveldt et en concertation avec moi, ces textes seront déposés incessamment au Conseil des ministres.
La mise en oeuvre de ces statuts dans les différentes formes (platesformes de crowdfunding, fonds starter, investissement direct ou les véhicules qui sont des modalités des plates-formes que je viens d’évoquer) permettra à la réduction d’impôt prévue dans cet article 45/26 de pleinement s’appliquer. Comme vous le savez, elle n’est pas mince puisqu’il s’agit de 45 % si on parle de TPE, de 30 % de réduction à l’impôt des personnes physiques, jusqu’à 100 000 euros par personne pour l’investissement réalisé et jusqu’à 250 000 euros maximum par entreprise.

La mise en oeuvre des statuts dont question constitue une priorité de manière à ce que le dispositif complet trouve à s’appliquer puisque dès le moment où le cadre légal et réglementaire sera complet, les candidats (plates-formes, fonds starter) souhaitant bénéficier d’un agrément vont alors solliciter leur reconnaissance en tant que telle à travers la FSMA.

À l’occasion de la mise en place de ces statuts, j’ai l’intention de mener un vaste travail d’information et de sensibilisation. J’ai déjà commencé d’ailleurs. J’étais encore hier soir à Malonne. Cette sensibilisation vise les PME et le grand public à ces modes de financement alternatifs, de sorte que chacun (grand public, PME, acteur impliqué ou autre) puisse se sentir concerné et que ces dispositifs puissent être très largement utilisés.

En ce qui concerne les quatre ans, nous avons ciblé le groupe pour lequel l’accès au crédit est généralement le plus difficile, c’est-à-dire les entreprises naissantes et plus particulièrement dans certains secteurs. On sait qu’on a, en Belgique, un taux d’entrepreneuriat et de création de jeunes entreprises trop bas par rapport à un certain nombre de pays qui nous entourent, d’où le fait que nous visions, en particulier, ces jeunes entreprises.

Je n’ignore pas que se pose aussi la question du financement de la croissance des entreprises de plus de 48 mois. Dans ce contexte de croissance des entreprises, on peut déjà présumer qu’ayant franchi avec succès leurs premiers pas, leur accès au crédit via un certain nombre de financements classiques est un peu moins difficile qu’il ne l’est pour les toutes jeunes entreprises que ce soit via les propositions bancaires, les plates-formes ou d’autres éléments de mobilisation de fonds notamment de business angels ou d’autres partenaires investisseurs.

J’ajoute qu’il est prévu d’évaluer et de monitorer, de façon très rapprochée et en toute transparence avec le Parlement, les acteurs, Febelfin et tous ceux qui s’intéressent à cette matière, notre dispositif de tax shelter jeunes entreprises, tax shelter starter. À l’évaluation de ces mesures, nous pourrons, le cas échéant, poursuivre des réflexions. J’ai quelques idées en la matière mais nous devons d’abord mesurer l’évaluation de la disposition actuelle et son impact budgétaire.

J’attire l’attention sur le fait qu’indépendamment de ce tax shelter, le reward crowdfunding continue à exister de manière autonome. Ce type de crowdfunding n’est pas réglementé, ni soumis aux nouveaux statuts qui viennent d’être mis en place. Dans la mesure où il ne s’agit pas d’un investissement en tant que tel, il ne tombe pas dans le champ d’application de la réglementation financière et n’est pas visé par l’article 145 du Code des impôts sur les revenus.

Ceci dit, je reste très attentif à ces nouveaux modes de participation sociétale et entrepreneuriale et je suis à l’écoute des réflexions à cet égard.

Concernant l’accès au financement bancaire, je me permets de confirmer que nous sommes en train d’évaluer la loi du 21 décembre 2013 concernant l’accès au crédit spécialement pour les petites et moyennes entreprises.

En ce qui concerne quelques éléments statistiques qui nous sont livrés par la Banque nationale de Belgique, notons qu’entre juin 2014 et juin 2015, le volume des crédits bancaires octroyés aux petites et moyennes entreprises a respectivement augmenté de 1,19 % et de 2,24 %. Sur la base des mêmes chiffres, il apparaît que 77 % de l’encours total des crédits vont aux PME. Il ressort par ailleurs des chiffres de Febelfin relatifs au baromètre trimestriel des crédits aux entreprises qu’au deuxième trimestre 2015, le degré de refus de demandes de crédit par les PME a atteint son niveau le plus bas depuis 2009: 86 % des demandes de crédit ont ainsi été totalement ou significativement approuvées.

Je constate donc que la situation en matière d’octroi de crédits aux PME ainsi que la confiance des PME dans le secteur bancaire ont évolué de manière positive depuis la crise. J’estime cependant que l’évaluation de la loi de décembre 2013 est un excellent moment pour mesurer chacun de ces aspects et, le cas échéant, franchir des pas supplémentaires dans cet équilibre entre préoccupations bancaires parfaitement légitimes et préoccupations entrepreneuriales et des PME qui le sont tout autant.

Pour ce qui est de l’évaluation, j’ai ici tous les détails méthodologiques que je tiens à votre disposition. Le tax shelter, l’évaluation de la loi classique, la mobilisation et l’information, je pense qu’avec cela, nous aurons bien avancé mais tout sera soumis, pour ce qui est du tax shelter, à évaluation et peut-être à adaptation en ce qui concerne notamment la croissance des entreprises.

Gilles Vanden Burre (Ecolo-Groen): Merci monsieur le ministre, pour cette réponse longue et détaillée qui répond effectivement à différents points que je vous proposais. Je voudrais relever deux éléments. Le premier, pour lequel nous pourrons avoir peut-être de nouveau le débat au moment de l’évaluation des tax shelter, par rapport effectivement aux nouvelles formes d’entrepreneuriat, effectivement plus sociétales, plus axées vers la plus-value sociale, environnementale ou autre, et qui généralement se financent vers des plateform reward, comme vous en avez fait mention.

Mais c’est vraiment tout un secteur à part entière qui se structure en fait de cette manière, et aujourd’hui, le texte en l’état, ne les prend pas en tout cas en compte pour tout ce qui est tax shelter. Mais nous y reviendrons. Je prends bonne note et j’imagine que vous m’enverrez les chiffres sur tout ce qui est accès au crédit bancaire des PME, qui s’améliore et c’est tant mieux.

Maintenant, je reste un peu sur ma faim. Nous estimons que Belfius en tant qu’outil public pourrait peut-être en faire davantage, être un outil d’investissement encore plus fort vis-à-vis des PME qui, comme  vous le savez, vous l’avez dit récemment, nous le savons également, sont le tissu de base de notre économie. Et donc, là, je pense qu’il y a encore moyen de faire mieux. Nous continuerons à être attentifs à cet aspect-là également.

 

Question orale posée en commission de l’Economie le 10 mai 2016.