Le 8 mai 2016, après deux semaines de grève des agents pénitentiaires réclamant de meilleures conditions de travail et de détention, le gouvernement Michel a envoyé l’armée pour pallier le manque d’effectifs. Est-ce ainsi que vous souhaitez marquer l’histoire? Il est indigne que les droits humains de certains détenus ne soient pas respectés et qu‘il n’y ait aucune politique de réinsertion sérieuse.
Vous devez agir rapidement et avec force. Le masterplan de 2008 et tous les budgets de fonctionnement ont matérialisé des années de choix politiques désastreux. Cerise sur le gâteau, vous réclamiez en 2014 une baisse de 10% de la masse salariale.
Quel budget supplémentaire êtes-vous prêts à accorder? Vous engagez-vous à au moins revenir au cadre de 2014? Quelle est votre vision de la politique carcérale et de la réinsertion à moyen et long termes?
Charles Michel, premier ministre :: Sans faire le procès du passé, la situation dans les prisons est tendue depuis des années. La dégradation n’est pas soudaine. La Belgique a souvent été condamnée par des juridictions nationales et internationales. L’accord de gouvernement a d’emblée prévu un dialogue de qualité avec les représentants du secteur pénitentiaire, concrétisé par un protocole d’accord en décembre 2014. Il vise à améliorer l’utilisation de l’argent public ainsi que le sort des détenus et les conditions de travail.
Nous vivons des moments difficiles depuis plusieurs semaines. Nous assumons clairement nos responsabilités. Le mandat de négociation confié par le cabinet restreint le vendredi 6 mai est clair. Le 8 mai, le ministre de la Justice et les représentants syndicaux ont convenu d’un protocole, qui a été pleinement approuvé par le gouvernement
Mais durant le week-end, les responsables syndicaux ont été désavoués par la base en Wallonie et à Bruxelles. Je le regrette.
Nous avons pris nos responsabilités en mobilisant l’armée dès lors que des piquets bloquaient l’accès à certaines prisons et empêchaient d’assurer les droits fondamentaux des détenus. En 2013, un chef de groupe du parti socialiste, bourgmestre d’Andenne, le proposait déjà dans un cas similaire. Nous le faisons aujourd’hui temporairement en espérant que le plus vite possible, la situation des prisons revienne à la normale. Nous avons décidé d’accorder un mandat complémentaire au ministre de la Justice, en prenant en compte les remarques pertinentes sur l’importance d’une stratégie pénitentiaire à court, à moyen et à long terme.
Même s’il y a progrès, nous continuerons à lutter contre la surpopulation carcérale mais aussi à améliorer les infrastructures grâce aux investissements pour la sécurité du Masterplan prisons. La task force , regroupant l’ensemble des acteurs, envisagera la concrétisation des investissements.
Je dois malheureusement constater que notre pays est l’un des derniers en Europe à ne pas avoir mis en place de service garanti dans les prisons. Il est absolument indispensable de nous y atteler
Enfin, nous analyserons les recrutements au regard du cadre, du taux d’occupation mais aussi de l’absentéisme, afin de déterminer une stratégie préventive.
Nous prenons la situation au sérieux et continuerons à agir. Chacun doit prendre ses responsabilités. Notre main reste tendue et j’appelle tous les acteurs à retrouver le plus rapidement possible le chemin du dialogue et du travail pour respecter le droit des détenus et donner à notre pays une stratégie pénitentiaire digne.
Koen Geens , ministre : Le temps n’est pas à la polémique. Je donnerai quelques faits. Lors de la présentation du plan Justice en mars 2015, j’ai proposé deux axes pour notre régime pénitentiaire. Le premier est la lutte contre la surpopulation. Nous avons rapatrié 1 000 illégaux et transféré 350 internés vers des institutions psychiatriques. Nous avançons avec les Communautés sur la surveillance électronique. La sanction et la probation sont devenues autonomes le 1er mai. Je lutte également contre la détention
Deuxièmement, depuis le premier jour, j’ai été en contact avec les syndicats d’une façon très constructive. Nous avons constitué sept groupes de travail. Nous avons abouti à un accord social: le congé avant pension en 2018 sera à 58 ans.
Nous recherchons des méthodes pour travailler autrement. Certes il n’y a pas assez de personnel mais la moyenne en Europe est de trois prisonniers pour un agent pénitentiaire, alors qu’en Belgique, c’est 1,68. La cause en est des institutions vétustes et des méthodes de travail dépassées. Dans l’exercice d’optimalisation, mes agents recherchent avec les directeurs de prison des méthodes pour, par exemple, concentrer les tâches dans la journée, rendre les occupations des postes plus importantes ou diminuer les mouvements inutiles dans les prisons. Dans certains établissements, ceci a été bien accueilli; dans d’autres, pas encore. J’ai eu des réunions avec les directeurs de prison pour parler de chaque élément à améliorer au cas par cas. Je ne cherche pas à les convaincre mais à les soutenir.
Louvain secondaire sera ramené de 100 à 98% dès lors que le cadre rationalisé sera réalisé. Lantin sera ramené de 100 à 93 %. Je me suis rendu à Lantin et les bâtiments y sont vraiment dans un état pitoyable. Je ne comprends pas comment un bâtiment datant de 1979 peut déjà se trouver dans un état aussi atroce! Aucun de nous n’était présent à l’époque: il s’agit clairement d’une responsabilité collective.
Depuis que je suis en fonction, la population carcérale a diminué et je promets qu’à la fin de mon mandat, elle ne dépassera pas 10000 détenus.
Le protocole prévoit un gel des économies pour 2016. Comment pourrait-on mieux gagner la confiance de s syndicats dans le contexte de l’optimalisation qui devrait être réalisée dans toutes les prisons?
Cela signifie 305 recrutements supplémentaires, en plus des 100 recrutements que nous avions déjà promis dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et qui avaient été approuvés par l’Inspection des finances et la ministre du Budget. Il faut cesser d’affirmer que le ministre de la Justice promet toutes sortes de choses sans en avoir les moyens.
Le premier ministre et la ministre du Budget soutiennent pleinement chacune des mesures
La prime de flexibilité, qui doit compenser la perte salariale due à l’optimalisation –4,8 euros brut pour certaines heures –, est réglée, non seulement pour les agents pénitentiaires, mais aussi pour tous les employés des prisons.
La cellule de liaison de la police de mon cabinet travaille jour et nuit pour maintenir un niveau minimum d’occupation dans chaque prison
Le respect absolu des droits de l’homme n’est pas conciliable avec le respect absolu du droit de grève.
On ne peut respecter à la fois les droits de l’homme et le droit de grève de manière absolue. C’est tout bonnement impossible
Lundi, j’ai reçu le Comité contre la torture et je n’étais pas fier. Il n’y qu’en Albanie que cette incompatibilité persiste encore à ce point
J’ai négocié avec les syndicats pendant 18 mois.
N’hésitons pas sur le but à atteindre, mais je suis à bout.
La concertation au sein du gouvernement et avec les syndicats va se poursuivre. Donnez-nous la chance de sortir de cette crise avec la perspective d’un avenir meilleur. Le Masterplan 3 nous donnera l’aval du Conseil de l’Europe
Gilles Vanden Burre (Ecolo-Groen): J’ai bien noté vos initiatives pour mettre en place une task force, lutter contre la surpopulation carcérale et retisser le dialogue. Je ne doute pas de votre bonne volonté
Cette crise est une question budgétaire. Vous devez mettre davantage de moyens financiers sur la table! Sortez de cette austérité mortifère! C’est la seule solution durable.
Question orale posée en séance plénière le 12 mai 2016.
(disponible aussi en vidéo)