Auteur : Christophe Lamfalussy

Publié le mardi 29 novembre 2016 à 07h32 sur le site de la Libre Belgique

 

Si Ibrahim El Bakraoui a pu revenir tranquillement en Belgique, en juillet 2015, après avoir été détenu en Turquie, et rejoindre la cellule qui devait commettre les attentats de Paris et de Bruxelles, ce n’est pas de la faute d’un seul homme, mais parce que des problèmes de communication et d’organisation apparaissent entre la police fédérale, la justice belge et les autorités turques.

Tel est le sentiment de plusieurs députés après avoir entendu lundi, à huis clos au sein de la commission attentats, l’homme sur qui le ministre Jan Jambon (N-VA) avait jeté l’opprobre quelques jours après les attentats de Bruxelles à la Chambre : l’officier de liaison de la police fédérale en Turquie, Sébastien Joris.

Ce dernier affirme n’avoir pas failli à sa mission. Le vendredi 26 juin 2015, il est informé par les autorités turques qu’El Bakraoui a été arrêté deux semaines plus tôt dans la ville de Gaziantep, proche de la frontière syrienne. Le lundi 29 juin, alors qu’il est en congé en Belgique, Sébastien Joris prévient la Direction centrale de la lutte contre la criminalité grave et organisée (DJSOC) de la police fédérale, dont dépend la section terrorisme. Elle lui répond dans un mail qu’El Bakraoui n’est pas catalogué comme terroriste mais qu’il a un passé judiciaire. On lui dit aussi que l’intéressé est en libération conditionnelle et qu’il doit recontacter les autorités turques pour savoir ce qu’elles reprochent à El Bakraoui.

Manque de communication

Ce que la DJSOC ignore à ce moment-là est que l’une des conditions à sa libération conditionnelle est que le futur kamikaze de Zaventem ne se déplace pas à l’étranger. La police ignore aussi que, le 2 juillet, une assistante à la Maison de Justice de Bruxelles a déposé un rapport négatif sur Bakraoui, s’inquiétant de son absence lors de deux rendez-vous prévus en juin et, selon des sources parlementaires, de sa radicalisation alors qu’en février, ce même service était plutôt positif, jugeant que l’emploi que l’ex-détenu avait trouvé dans un petit commerce le stabilisait.

Tout cela, Sébastien Joris l’ignore également. Tout comme il ne sera pas contacté directement par les autorités turques quand celles-ci décident d’expulser Bakraoui vers la Belgique, via l’aéroport de Schiphol. Elles envoient un message au consulat belge d’Ankara le 14 juillet à 10 h 14, message qui ne sera lu par le Consul que dans l’après-midi. Or l’avion est déjà parti. A Amsterdam, on le sait, Bakraoui passera la frontière sans escorte et disparaîtra dans la nature.

M. Joris n’apprendra que le 15 juillet, dans un message en turc, que l’oiseau s’est envolé et qu’il était bien incarcéré pour terrorisme.

Les réactions de l’opposition

« Il n’y a pas eu de faute individuelle dans le chef de l’officier de liaison« , a réagi la cheffe de groupe PS, Laurette Onkelinx, à l’issue du huis clos.

« Le problème n’est pas celui d’un seul homme mais d’un dysfonctionnement grave de la police, qui subit les effets de la politique de Jan Jambon de réduire les services centraux« , estime le député Georges Dallemagne (CDH), qui note aussi la communication tardive des autorités turques. Le supérieur de l’officier de liaison, Peter De Buysscher, a en effet disculpé M. Joris et déclaré en commission que la Turquie est « le pire pays en matière de coopération policière ».

« A chaque audition« , ajoute le député Ecolo Gilles Vanden Burre, « on se rend compte qu’il y a des choses à améliorer. Faire porter le pire attentat qu’ait connu la Belgique sur les épaules d’un seul homme était déjà choquant. Ici on entre dans les faits. »

Lors de l’audition, la NVA a fait remarquer que l’en-tête du message des autorités turques, livré le 26 juin, indiquait clairement que l’interpellation du Belgo-Marocain se faisait dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Malheureusement, cette partie du message n’a pas été traduite par l’assistante de M.Joris. Un détail qui ne convainc pas l’opposition (Ecolo, CDH, PS, SPA, Groen) qui demande que Jan Jambon vienne s’expliquer devant la commission.