Interview : Caroline FIXELLES & Albert JALLET
L’Avenir, 16 décembre 2016.
Elle devait être votée ce vendredi. En dernière minute la commission a été reportée. La proposition de loi qui oblige notamment les CPAS à fournir des infos pour lutter contre le terrorisme fait polémique…

Gilles Vanden Burre (Écolo), vous êtes vice-président de la commission Terrorisme. Ce vendredi, on devait voter la proposition N-VA sur l’obligation faite aux instituts de sécurité sociale de fournir des infos, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La réunion a été reportée hier. Pourquoi?

Selon le président de la commission, Koen Metsu (N-VA), l’auteure du texte, Valérie Van Peel (N-VA), veut «réétudier en détail certaines parties» . J’y vois surtout le fait qu’on a réussi à créer le doute, avec le terrain. Même si c’est loin d’être gagné…

Car vous fustigez cette proposition…

Ce texte va trop loin. S’il visait d’abord les CPAS, aujourd’hui, il vise tous les instituts de sécurité sociale: pensions, allocations familiales, de chômage, etc. Tout le monde est concerné. Ensuite, et c’est le plus grave, le texte prévoit que chaque fonctionnaire doit signaler de manière proactive tout constat d’infraction terroriste ou d’indice de préparation terroriste.

En quoi cela va-t-il trop loin?

Ce texte est un véritable choix de société. Une société de flicage généralisé où chaque fonctionnaire devient un inspecteur de police. Le climat de confiance sera rompu entre l’usager et l’agent.

Ne risque-t-on pas, par ailleurs, des problèmes d’interprétation?

Bien sûr. Les agents ne sont pas formés à cela. Ils ne sont pas policiers et n’ont pas les données d’instruction judiciaire. Ils ne sont pas aptes à juger si tel ou tel comportement correspond à de la préparation terroriste ou pas.

N’existe-t-il pas déjà des cas où ils doivent collaborer avec la Justice, au-delà du secret professionnel?

Oui quand un juge ou le parquet demande des informations administratives. Ce texte renforce cette obligation, des CPAS faisant apparemment de la rétention. Je peux comprendre qu’ils collaborent mais pourquoi faut-il aller plus loin. Où sera la limite demain?

Vous pensez qu’on pourrait aller encore plus loin?

Ce texte est tellement vague que c’est la porte ouverte à tous les abus. Est-ce que la femme de ménage, employée par le CPAS, qui tombe sur un dossier où elle identifie une personne soupçonnée de terrorisme, doit le dire? Personne ne sait répondre. Par ailleurs, demain, va-t-on exiger la même chose des agents communaux? Surtout qu’en Flandre le problème va se poser car CPAS et commune vont fusionner. Est-ce qu’on sera soupçonné quand on ira chercher sa carte d’identité? «Tiens, monsieur n’avait pas de barbe la semaine dernière…» Et je caricature à peine, ce sont des exemples entendus.

Viser uniquement les instituts de sécurité sociale. Doit-on y voir un agenda caché de la N-VA?

Oui, quelque part. Sous couvert de la lutte contre le terrorisme, on met à mal la sécurité sociale, car il y a derrière cette fameuse relation de confiance des citoyens envers notre système. Ce qui doit faire plaisir à la N-VA qui laisse entendre que ceux qui émargent au CPAS sont des profiteurs. Avec ici, le silence complice des libéraux…

Vous pointez tout le gouvernement?

Sous sa forme anodine, ce texte est fondamental dans la direction que prend le gouvernement contre le terrorisme. On n’a jamais été aussi loin dans les mesures sécuritaires qui potentiellement vont être votées. On est face à un TGV sécuritaire du fédéral!

De quoi remettre en cause l’efficacité de ce genre de mesure?

On nous dira que comme on met tous les utilisateurs de la sécu sous surveillance, ça donnera bien quelque chose. Or aujourd’hui, tous les experts disent qu’il faut cibler. Par ailleurs, pour Abdeslam ou les frères El Bakraoui, ces mesures n’auraient rien changé. On ne remet pas du tout en cause le fait qu’il faut lutter contre le terrorisme. Mais on doit soutenir une lutte efficace, ciblée et proportionnelle contre le terrorisme.

Vous avez des propositions?

Renforcer les moyens dans la lutte contre le trafic d’armes et tout ce qui a trait au financement du terrorisme. On a pu mettre 400 millions€ dans la sécurité, on doit aussi pouvoir mettre 400 millions€ dans la prévention.