Gilles Vanden Burre, Source : site de l’Echo, 31 août 2017

Les déclarations estivales du ministre N-VA des Finances, Johan Van Overtveldt, ont à nouveau lâché les chevaux idéologiques du gouvernement fédéral: il faut vendre un maximum d’entreprises publiques dans l’unique but de réduire la dette nationale.

Les sous-entendus sont également clairs: il est inefficace, voire complètement rétrograde, de voir l’État s’immiscer dans la direction de secteurs stratégiques tels la finance, le rail, la distribution postale, les télécom ou encore l’aéroportuaire. Cette vision néo-libérale de l’économie, réduisant à néant le rôle de la puissance publique, est non seulement dangereuse pour le développement économique de notre pays, mais aussi tout à fait dépassée.

Dangereuse car les politiques du « tout au marché » ont fréquemment démontré leurs conséquences néfastes en termes d’emploi (délocalisations ou plans de licenciements sauvages) ou de normes sociales et environnementales.

Imaginons un instant que Proximus, Bpost ou la SNCB passent aux mains de groupes financiers internationaux axés sur le court terme. On peut légitimement penser que la course au profit à tout prix, les pressions intenables sur les coûts ou les menaces permanentes de délocalisation deviendraient le quotidien de ces entreprises publiques.

De la France à la Chine en passant par les États-Unis

De plus, cette vision est dépassée: il n’existe pas aujourd’hui une seule puissance internationale qui n’actionne pas de leviers publics pour défendre ses intérêts économiques. Songeons simplement aux comportements de nos voisins français ou hollandais dans l’actualité récente.

Les premiers dans le dossier des chantiers navals de Saint-Nazaire (STX) où l’État compte exercer son droit de préemption et acquérir 100% des parts afin de protéger un secteur estimé stratégique et les seconds où le gouvernement a pesé de tout son poids pour empêcher le rachat du champion national de la chimie, Akzo Nobel, par son concurrent américain PPG.

Sans même parler des mesures protectionnistes des Américains, pourtant chantres du libéralisme, pour défendre leurs intérêts ou encore des Chinois qui pratiquent un capitalisme sauvage via des groupes industriels le plus souvent publics ou semi-publics.

Il n’est cependant pas question pour nous de prôner un retour au « tout à l’État », tout aussi inefficace et étouffant toute initiative, mais bien de réclamer une vision stratégique à long terme, avec des choix clairs et argumentés en ce qui concerne les secteurs que l’État fédéral souhaite soutenir par des investissements ou des prises de participation.

En d’autres termes, une réflexion poussant l’État à se comporter comme un entrepreneur avisé et un actionnaire ambitieux, avec comme objectif l’intérêt général. Cette réflexion est aujourd’hui totalement absente du logiciel du gouvernement fédéral.

À nos yeux, ce véritable État stratège doit s’articuler selon deux axes: la sélection des secteurs dans lesquels la puissance publique doit intervenir comme actionnaire investisseur et le développement de mécanismes législatifs de protection de nos intérêts économiques.

Premièrement, concernant les secteurs, la spécificité (et l’avantage) de l’État est qu’il peut se concentrer sur le temps long tout en veillant à respecter sa mission première: faire prévaloir l’intérêt général et la qualité de vie de l’ensemble de la population.

Privatiser le SNCB ? Un débat ridicule…

Compte tenu de ces objectifs, le débat sur la privatisation de la SNCB, qui permet à chaque citoyen de se déplacer aux quatre coins du pays, est ridicule vu qu’elle est garante d’un service public élémentaire et qu’elle devrait plutôt être renforcée pour résoudre les problèmes de mobilité croissants.

S’il est impératif d’améliorer le fonctionnement et le service offert aux passagers de l’opérateur ferroviaire national, privatiser reviendrait à estimer qu’il ne faudrait plus garder que les lignes rentables, ce qui est contraire à l’intérêt général.

Il en va, en partie, de même pour Bpost, assurant la distribution du courrier et le passage quotidien du facteur. Les évolutions et la diversification qu’a connue le secteur postal ces dernières années (digitalisation, distribution de colis,…) ont sans doute justifié l’entrée d’un partenaire privé dans le capital, mais l’État est resté actionnaire majoritaire afin de garder la main sur les orientations stratégiques et la qualité de l’emploi dans un domaine souvent touché par le dumping social.

Pourquoi dès lors vouloir changer ce modèle qui a fait ses preuves avec un climat social globalement apaisé, une rentabilité positive et une satisfaction des clients au plus haut (selon les dernières études de l’IBPT)?

Un autre domaine clé est celui des télécom où la notion de service public a aujourd’hui moins de pertinence et est supplantée par l’importance des investissements à réaliser en vue de passer le cap de la numérisation de notre économie.

C’est la raison pour laquelle l’État est, et doit rester, un actionnaire important de Proximus. On pourrait continuer l’analyse secteur par secteur avec la finance (l’avenir de Belfius), l’aéroportuaire (la participation publique dans Brussels Airport) ou la production industrielle (le futur de la Sonaca, entre les mains de la Région wallonne). Le problème fondamental est qu’aucun débat politique sérieux n’est tenu sur ces questions, en dehors des déclarations simplistes du Ministre des Finances. En effet, le plan d’action concernant les participations publiques ne peut pas se limiter à économiser de l’argent et à faire baisser la dette.

Droit de vote double

Deuxièmement, en parallèle de cette réflexion sectorielle, il est également indispensable de développer un arsenal législatif permettant de protéger nos intérêts stratégiques, nos champions nationaux ou nos pépites industrielles face aux prédateurs financiers et aux multinationales sans foi ni loi.

Concrètement, nous proposons d’introduire un droit de vote double favorisant les actionnaires locaux ou présents depuis un certain temps dans le capital, y compris l’État, s’inspirant du modèle français.

Par ailleurs, toute initiative partageant les mêmes objectifs pourrait être discutée au Parlement, comme c’est par exemple le cas actuellement aux Pays-Bas, avec le projet qui envisage d’accorder à toute entreprise une période d’un an durant laquelle elle pourrait rejeter toute offre publique d’achat (OPA).

Il est donc temps que ce gouvernement fédéral sorte de sa position de « liquidation totale » de nos entreprises publiques et propose une vision stratégique de long terme quant à ses participations dans les domaines économiques cruciaux pour notre avenir, et celui de nos enfants.